TIC et gouvernance des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire : Le cas du conseil régional du Gbêkê

Dja André Ouréga Junior GOKRA

Ennseignant-chercheur au Département des Sciences du langage et de la communication
Université Alassane Ouattara

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Résumé

La place des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans la gouvernance des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire est au cœur de l’actualité. On observe qu’en conseil des ministres et dans les débats télévisés cette problématique est récurrente. C’est dire que les TIC présentent des opportunités réelles pour le développement local. Au conseil régional du Gbêkê, un projet de gouvernance électronique, notre objet d’analyse, a été initié pour assurer une meilleure gestion de cette entité décentralisée. L’étude que nous avons menée analyse le niveau de pénétration des TIC dans la gouvernance des collectivités territoriales à partir du conseil régional du Gbêkê. En effet, les TIC ont introduit un nouveau modèle de gestion de l’administration locale en offrant beaucoup plus de proximité et d’opportunités économiques et touristiques aux régions.

Mots clés : TIC, enjeu, développement local, gouvernance, communication territoriale.


Introduction

Il est communément admis que les TIC présentent des opportunités pour les pays africains et beaucoup plus encore pour les pays du Sud du Sahara. Les avantages économiques, sociaux et éducatifs générés par les TIC nécessitent une attention particulière de la part des gouvernants qui les situent au cœur de leur projet de société.

En 2006, Marc Ravalomanana a souligné dans le Rapport National sur le Développement Humain que : « la meilleure façon de dynamiser le développement de l’Afrique est de garantir l’accessibilité à des informations pertinentes pour tous. […]. La maîtrise des technologies de l’information est la clé pour la transformation de l’Afrique » (PNUD, 2006, p. 76). Ce propos fait écho à la politique numérique entreprise par l’État de Côte d’Ivoire depuis les années 2000, politique qui a connu un tournant décisif en 2012. En effet, à partir de cette année-là, de nouveaux terminaux vont être installés dans les universités et les administrations dans le but de tendre vers une maturité numérique. Le vendredi 18 décembre 2015, par exemple, le Directeur de cabinet du ministre ivoirien de l’Économie numérique et de la Poste annonçait que 5000 kilomètres supplémentaires de fibres optiques viendraient compléter les 662 kilomètres déjà installés. L’intention affichée, à travers un tel projet, est d’assurer la couverture technologique du territoire national. Les TIC constituent de ce point de vue une aubaine pour tout pays qui veut accélérer son développement par la vulgarisation de l’information.

Dans les collectivités territoriales telles que le Conseil Régional du Gbêkê, le niveau d’intégration et d’expansion des TIC n’est pas encore à la hauteur de l’engagement politique de l’État quant à la vulgarisation de l’information. Pourtant, parler de gouvernance des collectivités implique un meilleur fonctionnement de l’administration, la participation des citoyens et la transparence dans la gestion de la collectivité. Toutes ces exigences ne peuvent être réalisées à l’heure actuelle que par les TIC qui sont un catalyseur du développement. Quel est alors le rôle des TIC dans la gouvernance des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire? Nous faisons l’hypothèse qu’avec les TIC, les collectivités territoriales accélèrent leur développement tout en leur offrant de l’innovation et de nouvelles opportunités. S’inscrivant dans ce cadre, la présente recherche s’intéresse aux politiques numériques mises en œuvre par les collectivités territoriales pour valoriser davantage leurs cités. Cet article dresse ainsi un état de lieux de l’usage des TIC dans la gouvernance du Conseil Régional du Gbêkê.

Pour réaliser cette étude, nous avons mené des entretiens avec le secrétaire général et la responsable du service communication de cette entité décentralisée. Nous avons également recueilli l’avis des administrés sur le niveau de pénétration des TIC afin de voir si cela a induit des changements dans leurs habitudes et influencé leur mode vie. L’article est structuré en trois parties. La première traite du contexte des TIC en Afrique. La deuxième partie met en rapport les TIC avec la gouvernance des collectivités territoriales. Enfin, la troisième partie s’interroge sur le niveau d’engagement des élus locaux et les limites de la politique nationale en matière de TIC.

I. Le contexte

L’importance des TIC dans le développement fait l’objet de travaux montrant l’impact de la technologie sur la transformation économique et sociale. Le rapport mondial sur le développement humain à Madagascar en 2006 a identifié l’e-administration, l’e-service et l’e-gouvernance comme triptyque de la bonne gouvernance. Ce rapport positionne les TIC comme une nouvelle donne pour une communication plus efficace avec les citoyens. Chéneau-Loquay (2010, p. 2) soutient pour sa part que

L’Afrique n’a pas échappé au bouleversement qui a caractérisé le monde de la communication à distance, les télécommunications et Internet, au cours des 20 dernières années après une période de stagnation depuis les indépendances […] En 2007 tous les pays sont connectés à Internet et le nombre d’abonnés au téléphone mobile, 265 millions, a dépassé toutes les prévisions les plus optimistes. Désormais la communication à distance n’est plus un luxe en Afrique ; elle représente un besoin essentiel qui la place, juste après l’eau et la santé, à égalité avec l’électricité et les transports et ce besoin est immense pour des raisons différentes de celles des pays développés.

Ainsi, le processus de décentralisation et de gouvernance locale prôné par l’État suggère l’élaboration des stratégies « d’intégration, d’application et services appropriés » (PNUD, 2007, p. 2). Pour les collectivités territoriales, il s’agit de profiter du potentiel qu’offrent les TIC par l’amélioration de l’investissement dans les infrastructures. Sur cette question, l’IPAO (2009, p. 16) en collaboration avec le PNUD a produit un document dont le titre évocateur révèle l’importance des TIC dans la gestion des collectivités locales: « l’e-gouvernance et la participation citoyenne en Afrique de l’Ouest : enjeux et études de cas ». Ce travail met en lumière les avancées et les reculades en matière de TIC dans les pays en développement. Car s’il est reconnu que la technologie impulse le développement, il faut reconnaître, avec ce travail de l’IPAO, qu’on observe d’importantes disparités en Afrique. Ces disparités sont dues essentiellement à la faiblesse de la politique nationale des pays en matière de TIC. Par ailleurs, la session spéciale d’AFRICITES 2012 organisée par le collectif eATLAS francophone Afrique de l’Ouest a montré une fois de plus que les collectivités territoriales doivent relever le défi de l’utilisation des TIC au service de la démocratisation de la gouvernance locale et de la participation citoyenne. Ces travaux ont un point en commun, celui de vanter les mérites des TIC dans la nouvelle forme de gouvernabilité des territoires. Notre travail ambitionne se positionner dans cette dynamique en essayant de confronter les différents points de vue à la réalité.

Les conseils régionaux, en Côte d’Ivoire, ont été créés par le décret n°2011-263 du 28 septembre 2011 (www.dgddl.interieur.gouv.ci, 2013). Les 17,18 et 19 novembre 2014, au salon international de la géomatique, le président de l’Assemblée des Régions et Districts de Côte d’Ivoire (ARDCI) a relevé dans son exposé que : « Les premiers conseils de régions ont été installés à l’issue des élections locales d’avril 2013 » (www.cntigci.net/geomatique, 2014). Les conseils régionaux ont commencé véritablement à fonctionner à partir de 2013. Prenant appui sur ce constat, cette étude fait le bilan de la politique des TIC au Conseil Régional du Gbêkê après trois (3) ans d’activité.

II. TIC, gouvernance et développement des collectivités territoriales
II.1. Une aubaine pour la Côte d’Ivoire

Les ministères et des collectivités territoriales (mairies, conseils régionaux) initient des formations sur le thème de la gouvernance. Il s’agit de gérer plus efficacement le pouvoir en instaurant une démocratie participative. Ce défi est facilité grâce aux TIC qui offrent des avantages indéniables. Les plus optimistes parlent de mythification des TIC en faisant référence à l’exagération liée aux avantages offerts par celles-ci. La Côte d’Ivoire, à l’instar des autres pays africains, souhaite accélérer son développement en relevant le niveau de pénétration des TIC. À cet effet, avec l’e-administration, tout fonctionnaire peut désormais consulter son bulletin de solde à partir d’Internet, télécharger son arrêté de nomination et aussi consulter les résultats de concours administratifs. L’engagement de l’État ivoirien pour les TIC se perçoit à travers la création par décret présidentiel, le 19 juillet 2017, du ministère de la modernisation de l’administration et de l’innovation du service public. Ce ministère a pour mission de favoriser davantage l’interconnexion des structures de l’administration publique et de contribuer à l’informatisation des procédures administratives dans les services publics. Au niveau de l’e-démocratie, le vote électronique est institué avec l’adoption d’une plateforme électronique qui permet d’enregistrer les votants. Ce fut le cas lors des élections présidentielles d’octobre 2015 et des législatives de décembre 2016. Le numérique s’étend ainsi à plusieurs secteurs d’activités et contribue à mieux organiser et fluidifier les rapports entre l’État et les citoyens. Au niveau de la décentralisation, les TIC sont une opportunité pour réussir la gouvernance des collectivités territoriales. Ils induisent de nouvelles façons de gérer les territoires pour un meilleur rapprochement des populations. Il s’agit, entre autres, des fonctionnaires et agents de l’État exerçant dans la localité, des commerçants, des communautés traditionnelles et religieuses. Mais il est aussi et surtout question d’encourager et de faciliter une meilleure participation des femmes à la démocratie locale à travers une politique numérique qui leur accorde une place de choix dans la construction de la vie sociale et politique. Les TIC s’offrent donc les moyens d’établir l’équilibre par la gestion de la collectivité locale. Les femmes, par exemple, voient leurs capacités d’apprentissage scolaire et social améliorées par les TIC. Il s’agit de renforcer l’accès à l’information et à l’autonomisation des femmes par la promotion de l’égalité des chances. Les TIC donnent sens à l’action de la collectivité par une approche plus interactive de l’action publique.

Pour Besson (2003, p. 20), dans la gouvernance, « l’ensemble des partenaires accepte d’entrer en intelligibilité entre eux et en dialogue pour aboutir à un diagnostic partagé du territoire ». En Côte d’Ivoire, avec le nombre croissant des collectivités territoriales qui, elles-mêmes, sont plus complexes, les acteurs se sont diversifiés et sont devenus plus exigeants. L’IPAO (2009, p. 16) souligne à ce sujet que :

la participation citoyenne par l’usage des TIC, l’e-participation suppose que l’usage des TIC favorise l’extension et l’amélioration de la participation du citoyen, en le mettant plus aisément et plus rapidement en contact, aussi bien avec ses pairs qu’avec les élus qui le représentent.

La gouvernance locale par les TIC impacte, de ce fait, la vie des citoyens par le traitement efficace des affaires administratives sans compter « le fait que la limitation du contact entre les citoyens et les agents de l’administration diminue les risques de corruption » (Mbengue, 2009, p. 25).

Le conseil régional du Gbêkê est situé au centre de la Côte d’Ivoire à environ 360 km d’Abidjan, capitale économique. Il est composé de quatre (4) départements qui sont : Béoumi, Botro, Sakassou et Bouaké, le chef-lieu de région. Des textes législatifs et réglementaires des collectivités territoriales ont été publiés en 2013. Ces collectivités territoriales ont pour mission: « l’organisation de la vie collective dans la collectivité territoriale, la participation des populations à la gestion des affaires locales, la promotion et la réalisation du développement local, la modernisation du monde rural, l’amélioration du cadre de vie, la gestion des territoires et l’environnement » (www.dgddl.interieur.gouv.ci, 2013). La diversité des missions ajoutée au retard accusé par cette collectivité en raison de la crise militaro-politique qui a hypothéqué son développement durant une décennie (2002-2011), nécessite que des modes de gestion novateurs soient réalisés, non seulement, pour rattraper le retard, mais aussi pour consolider les acquis du développement et mieux dialoguer avec les citoyens. Le dernier recensement général de la population et de l’habitat datant de 2014 estimait la population de cette région à 1.440.826 habitants. On comprend, dès lors, qu’elle a une population forte et sa gouvernance implique un management qui lui permet d’atteindre ses objectifs. Le contexte sociopolitique, les exigences des administrés et la politique de décentralisation prônée par l’État sont autant de facteurs à prendre en compte dans le développement des collectivités territoriales par la mise à leur disposition, de façon permanente, d’informations. Par exemple, grâce aux TIC, il est plus aisé d’avoir une base de données de tous les ressortissants de la région. Ce qui permettrait au conseil régional de travailler de concert avec les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de la région afin de leur fournir des informations à temps réels sur d’éventuelles situations d’insécurité. Vues sous cet angle, les TIC permettent d’accroître la capacité d’intervention des FDS afin de réduire les agressions dont sont victimes les voyageurs, les commerçants et même les résidents dans les différentes localités de la région.

Au-delà de cet aspect, les TIC sont fondamentalement indispensables au développement local dans la mesure où avec la mondialisation, le partage permanent et pressant de l’information exige de nouvelles formes de collaboration. Pour les conseils régionaux confrontés à de nombreux défis évoluant dans un environnement sociopolitique, les TIC interviennent pour leur permettre d’anticiper et de résister à certaines situations qui pourraient entraver leur gouvernabilité. L’opportunité est offerte aux territoires de repenser leur développement par les TIC et d’améliorer le mieux-être des citoyens en les associant à la gestion du territoire.

II.2. Le projet E-Région du CNTIG ou la politique numérique de l’État dans les collectivités territoriales

Le Comité National de Télédétection et d’Information Géographique (CNTIG) a développé une solution pour les régions et districts de Côte d’Ivoire. Cette structure a conçu un package dénommé « Région care (contrat d’assistance aux régions) » qui est destiné aux conseils régionaux. Ce package comprend le développement de l’application E-région, l’assistance et le conseil dans le montage de projets et la recherche de financements, le renforcement des capacités et l’élaboration de plans stratégiques de développement. Le Conseil Régional du Gbêkê doit donc se positionner aux niveaux local et national pour attirer les investisseurs, développer et contrôler son économie. Les potentialités agricoles et commerciales de la région sont immenses : on peut citer le marché de gros de Bouaké qui est le plus grand marché de stockage de produits vivriers de l’Afrique de l’Ouest, auquel il convient d’ajouter les unités industrielles et les sites touristiques. De l’avis de Garry (1993, p. 8), les collectivités territoriales vivent dans un univers de concurrence, « elles doivent attirer et retenir les touristes. Cela se traduit par la promotion des territoires, par le positionnement de la collectivité par rapport à un autre, par des préoccupations de faire-valoir, d’identité […] par des stratégies de communication qui empruntent de nouvelles technologies, nécessitent des techniques et des savoir-faire de plus en plus précis et spécifiques ». Dans la dynamique nouvelle des conseils régionaux en Côte d’Ivoire, les TIC doivent jouer un rôle prépondérant. Dans une interview accordée en 2014 au quotidien électronique l’Infodrome, le secrétaire général du CNTIG soutenait à ce sujet que « E-région est l’application conçue pour aider les régions à mieux piloter leur développement et également pour identifier et capter toutes les sources de revenus (exploitation des ressources naturelles, marchés, qui ne sont du ressort d’aucune commune, commerce, etc. » (www.linfodrome.com, 2017). C’est une démarche avantageuse pour le conseil régional dans la mesure où, avec l’accroissement de l’information, les populations sont appelées à sélectionner les informations qui leur sont indispensables pour la conduite de leurs activités. Ils deviennent des acteurs clés du développement local. Le Conseil Régional du Gbêkê a pris l’engagement de solliciter le CNTIG afin de bénéficier du logiciel géodécisionnel E-région conçu par cette structure. Selon le Secrétaire général dudit conseil, avec :

la mise en œuvre de son programme triennal 2015-2017, adopté le 27 décembre 2014, le conseil régional du Gbêkê se propose de mettre en place le système E-région dont l’objectif est d’accroître les ressources fiscales, mieux connaître le territoire (étendue, population, caractéristiques, etc.), planifier le développement, effectuer le suivi-évaluation des projets, se rapprocher des citoyens.

Les TIC permettent, à travers la solution E-région, de mieux gouverner les collectivités locales, dans la mesure où les régions sont implicitement en concurrence les unes avec les autres. Elles doivent rechercher les opportunités, relever les défis de leurs régions, répondre avec célérité aux besoins auxquels la région doit faire face. Cette relation égalitaire suscitée par les TIC entre les collectivités territoriales et leurs administrés, a pour but, d’une part, de relancer l’activité économique de la région du Gbêkê par la création d’entreprises dont l’avantage serait de freiner l’exode massif des jeunes diplômés vers la capitale économique (Abidjan), ainsi que par une meilleure gestion des taxes et des recettes; une maîtrise de l’activité touristique; et d’autre part de participer à l’organisation des prochaines élections locales.

En effet, la communication est devenue une contrainte dans les collectivités territoriales. Elle devient « un fondement de la démocratie locale » (Garry, 1993, p. 33). Elle permet, avec le tissu social encore fragile, d’apaiser les esprits en mettant les populations à contribution. Au conseil régional du Gbêkê, les populations sont particulièrement exigeantes et ne tardent pas à manifester devant les décisions prises par les autorités pour leur bien-être. L’exemple le plus illustre concerne les manifestations des habitants du quartier Air France 2 de la ville de Bouaké qui, suite à la décision du conseil municipal de raser leur marché pour le reconstruire, ont incendié le véhicule du commissaire dudit quartier. C’est un exemple qui atteste de la fragilité de la situation sociale et qui invite à une nouvelle approche de la gouvernance des collectivités territoriales. Pour N’diaye (2006, p. 295) :

avec les projets de gouvernance en ligne développés un peu partout dans le monde, les citoyens peuvent s’informer, interagir avec les administrations et payer leurs impôts ou taxes sans se déplacer. L’E-gouvernance constitue pour le citoyen un moyen d’accéder par l’informatique à une information, à un service ou un dialogue avec la transparence et la participation dans le processus de décision qu’elle rend possible, elle est également un excellent moyen de rendre effective la démocratie électronique.

Il y a quelques années, les radios et télévisions locales avaient permis à la région du Gbêkê de sensibiliser les populations et de les informer sur les projets de développement régionaux et nationaux. Les TIC viennent en complément des médias traditionnels pour non seulement vulgariser les projets du conseil régional, mais aussi pour en faciliter les réalisations. La décision de solliciter le CNTIG pour la mise en œuvre du projet E-région traduit la volonté du conseil régional de s’approprier l’E-gouvernance comme un outil de gestion de la collectivité. Cependant, certaines collectivités territoriales, estimant que le projet est coûteux, n’y ont pas encore adhéré. Le conseil régional du Gbêkê a donc pris de l’avance par la création d’une équipe projet au sein de l’administration du conseil régional supervisée par la direction du développement et de la planification. Cette équipe projet devra veiller à la validation du travail du CNTIG, au contrôle de la méthodologie utilisée et au calendrier de son intervention. Somme toute, les engagements dans les conseils régionaux, de même que le renforcement de la politique nationale en matière de TIC restent à relever en vue d’un succès de la gouvernance par les technologies en Côte d’Ivoire.

III. Engagements et limites
III.1. L’engagement des élus locaux : une condition pour la réussite de l’E-gouvernance

Même s’il faut reconnaître l’importance de l’enjeu des TIC dans la valorisation du territoire, il faut aussi admettre que son déploiement dépend, en grande partie, de l’engagement des élus, autrement dit des premiers responsables du conseil régional. Le transfert de compétences opéré à travers la décentralisation n’aura de succès que par l’implication des élus. De l’avis de Ballo (2008, p. 4), « en mettant une importante partie du pouvoir à proximité du citoyen, elle lui permet de participer à l’exercice effectif du pouvoir, de suivre de près l’exécution des décisions et de voir dans les élus des représentants plutôt que des mandataires ». Les représentants doivent montrer leur engagement pour leurs collectivités en faisant de la politique de numérisation leur priorité. En 2012, lors de la session spéciale de AFRICITES 2012, organisée par le collectif e-ATLAS Francophone Afrique de l’ouest à Dakar, la problématique du développement des TIC comme outils de modernisation et de valorisation des collectivités a permis de réitérer la ferme volonté des pays d’Afrique de l’Ouest d’utiliser les TIC pour la construction d’une gouvernance locale afin de valoriser les savoirs, les connaissances et les initiatives de l’ensemble des acteurs locaux. Une telle posture peut être utilisée pour analyser le degré d’engagement des élus locaux dans la mise en œuvre des politiques en matière de TIC. Dans ce cas, l’hypothèse serait qu’ils soient eux-mêmes les principaux acteurs de la politique TIC si l’on part du principe que la décentralisation implique une coopération bilatérale et une dynamique démocratique impliquant davantage les citoyens. Les élus locaux doivent s’inspirer de la volonté du gouvernement de mettre en œuvre leur projet de gouvernance par les TIC. N’diaye (2006, p. 29) soutient que dans tous les cas, « un retour en arrière est difficilement imaginable […] car le pays est résolument engagé dans la voie de la modernisation ». En Afrique de l’Ouest, les gouvernements ont reconnu unanimement les opportunités offertes par les TIC dans le développement de leur territoire. Au Burkina Faso, par exemple, « les relations entre les acteurs de la décentralisation doivent respecter les exigences d’une démocratie locales dans le but de favoriser le développement » (NDI, 2010, p. 22). Dans ce pays, les décisions prises en conseil régional sont le fruit de la concertation entre les autorités locales, conformément à la volonté des citoyens et par la prise en compte des droits et des intérêts de la minorité. Les TIC permettent de rendre plus fluide la gouvernance administrative, politique, économique et financière. Le rôle de l’élu local est alors perçu comme un animateur social de sa communauté, c’est-à-dire qu’il milite pour l’implication des administrés dans la gouvernance locale.

La réalité en Côte d’Ivoire se rapproche de celle du Burkina Faso dans la mesure où les présidents des conseils régionaux se doivent de soigner leur image à travers la gestion efficace de leur collectivité. C’est d’ailleurs pourquoi on aperçoit très souvent au journal de 20 heures sur la RTI1, la première chaîne de télévision publique ivoirienne, les présentations des réalisations des conseils régionaux. Citons en exemple ceux des régions du Loh-djiboua dans le sud-ouest, de l’Indénié-djuablin à l’est et du Gbêkê au centre. Derrière la présentation de ces réalisations, c’est bien le développement du territoire que l’on recherche. M’bengue (2009, p. 4) souligne que : « la parfaite efficience d’une gouvernance électronique en Afrique nécessite à la fois une volonté politique au niveau étatique, une infrastructure suffisante, une culture démocratique chez les citoyens ». Bien souvent, la gouvernance électronique reste limitée au gouvernement et au ministère de l’État central. Les collectivités décentralisées n’ont pas encore véritablement introduit une gouvernance par les TIC dans la gestion de leurs activités. La gouvernance reste centrée sur l’État central. Dans les régions, la politique numérique se limite en partie au projet du CNTIG qui, à ce niveau, est restreint à quelques régions comme celles du Gbêkê.

Les technologies de gouvernance électronique utilisées au conseil régional du Gbêkê sont les radios locales, la télévision régionale, le système d’information géographique à travers le projet E-région, l’informatique pour la gestion des affaires administratives. Ainsi, le dialogue avec les citoyens n’est pas encore véritablement développé. Il pourrait l’être à travers la création d’émissions radiophoniques interactives avec les citoyens. Sans passer par Internet, ces émissions permettraient aussi aux autorités d’avoir une idée de ce que pensent les citoyens et même de dialoguer en direct (ou en différé) avec eux.

Le gouvernement ivoirien a fait des efforts avec la création des sites Internet pour chaque ministère, de même que la création du Centre d’Information et Communication Gouvernementale représentant le site d’information officielle du gouvernement. Cependant, cette même dynamique n’anime pas encore véritablement les collectivités territoriales, à l’exception de quelques-unes. Les élus locaux doivent développer davantage leur « cyberstratégie » pour réussir la gouvernance par les TIC qui ne se présente plus comme une alternative, mais désormais comme une nécessité pour développer leur région. Cela passe par le renforcement des capacités de ces derniers sur la gouvernance ouverte en leur démontrant le bien-fondé et les enjeux d’une politique numérique dans les collectivités territoriales. Le niveau de pénétration des TIC dans les collectivités est lié au niveau d’imprégnation et d’engagement des élus locaux.

III.2. Les limites de la politique nationale en matière de TIC

Malgré les efforts fournis par le gouvernement pour déployer les TIC dans tous les secteurs d’activités, la politique en matière de TIC doit encore être renforcée. Selon Bogui et Atchoua (2016, p. 7), « plus de 20 millions de personnes sont abonnées au téléphone mobile en Côte d’Ivoire au premier trimestre 2014; ce qui équivaut à un taux de pénétration de 83,5 %. Les abonnés prépayés représentent plus de 99 % des utilisateurs. Le chiffre d’affaires global généré par le marché de la téléphonie mobile en Côte d’Ivoire est passé d’un peu plus de 15 milliards de francs CFA (environ 23 millions d’euros) en 1997 à environ 190 milliards de francs CFA (environ 290 millions d’euros) au premier trimestre de l’année 2014 ». Ces chiffres révèlent, certes, une extension de la téléphonie, mais il faut remarquer également que les 2/3 des abonnées sont concentrés sur le district d’Abidjan. Ce qui fait de cette région la plus connectée à Internet de tout le pays. Or, la plupart des collectivités territoriales sont reparties sur l’entendue du territoire national. Dans certaines localités telles que Béoumi, Botro et Sakassou faisant partie du conseil régional du Gbêkê, l’accès à Internet est difficile. De plus, la plupart du temps, les zones urbaines ont plus « facilement » accès à Internet que les campagnes qui manquent encore d’infrastructures numériques. Pour Chéneau-Loquay (2011), en matière de TIC, « le plus grand défi en Afrique reste encore la modernisation du réseau d’accès au client, son extension au monde rural et surtout son interconnexion ». Pourtant la gouvernance par les TIC invite à une participation de toutes les populations (urbaines et rurales) au débat dans ce nouvel espace public. Kiyindou (2016, p. 60) partage cette idée quand il écrit que : « les usages des TIC pour la démocratie en Afrique souffrent encore de la non-maîtrise technologique et du contexte politico-juridique ». Subséquemment, la gouvernance par les TIC serait utopique si des mesures ne sont pas prises pour réduire les disparités numériques dont souffrent les collectivités locales. De l’avis d’El Mehdi (2011, p. 65)

la fracture numérique que cause Internet comme opportunité de développement, est toujours présente dans les pays d’Afrique. Cette fracture numérique peut être expliquée en grande partie par l’existence de plusieurs obstacles pour la population africaine tels que le coût prohibitif et les réseaux épars et non interconnectés de télécommunication, les facteurs systémiques externes tels que l’électricité, les réseaux de transport et les droits d’entrée.

Nous partageons cet avis dans la mesure où en Côte d’Ivoire, la couverture nationale du réseau Internet a évolué, mais reste encore insuffisante pour aboutir au niveau de connexion souhaité. Pour preuve, le Ministre ivoirien de l’Économie Numérique et de la Poste, lors d’une conférence de presse tenue le 11 février 2016 à Abidjan, a présenté les sept projets sectoriels du gouvernement électronique que sont : l’e-santé, l’e-éducation, l’e-justice, e-sécurité, l’e-diplomatie, e-agriculture, e-foncier. On voit bien que le numérique comme outil de gouvernance des collectivités n’est pas abordé. Ceci fait apparaître, en filigrane, les limites la politique de l’Etat en matière de gestion des collectivités territoriales par les TIC. La gouvernance numérique de ces collectivités territoriales doit figurer aussi en tête de liste des priorités de l’État pour accroître leur autonomie.

Conclusion

Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’un travail de recherche que nous avons entrepris en vue de comprendre la place des TIC dans la gouvernance des collectivités locales en Côte d’Ivoire. Notre objectif est d’apprécier le niveau de prise en compte des TIC dans les stratégies de développement des territoires. Nous nous sommes intéressés au conseil régional du Gbêkê situé au centre du pays.

En Côte d’Ivoire, après trois années d’existence, les conseils régionaux ont saisi l’enjeu des TIC dans la gouvernance de leur collectivité. La mise en œuvre du projet E-région en est une illustration. En effet, l’État, à travers le Ministère des Technologies de l’Information et l’Économie numérique, a développé ce projet dans le souci d’appuyer les collectivités et de leur permettre de développer davantage leur territoire. La recherche montre que si le conseil régional du Gbêkê a saisi cet enjeu, il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire pour le déploiement des TIC. Les élus locaux doivent être en première ligne de la politique de numérisation de leur collectivité tout en renforçant les équipements dédiés à cet effet, d’autant plus que la fracture numérique demeure un frein à l’efficience de la gouvernance par les TIC.

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PNUD (2006), Les Technologies de l’information et de la Communication et le développement humain, Rapport National sur le Développement Humain, Madagascar.

PNUD (2007). Tic et gouvernance locale au Sénégal. p.1-7, Récupéré le 07 janvier du site du programme: https://idl-bnc.idrc.ca/dspace/bitstream/10625/47664/1/IDL-47664.pdf

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Pour citer cet artice
Gokra, Dja André Ouréga Junior (2017) « TIC et gouvernance des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire : Le cas du conseil régional du Gbêkê », dans Cahiers du GERACII [En ligne], Vol.2, No.1. Article mis en ligne le 30 novembre 2017. URL : https://geracii.uqam.ca/cahiers-du-geracii/volume-2-no1/gokra/

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